Interstellar Fugitive a écrit:
Eden:
D'accord je me suis arrété au tome 1 mais quand on n'aime pas pourquoi aller plus loin? [...]
La réponse risque d'être saignante, amis forumeux restez accroché à vos claviers, la suite du match sera bientot sur vos écrans...
Alors toi, quand même... tu ne te trouve pas un peu trop subjectif des fois? Parce que là encore, tes arguments sont un peu légers : tu juge le scénario sur un Tome, un Tome sur une série qui compte 13 tomes en français et ce n'est pas fini.
Souvent le dégout des premiers instants fait perdre la face à cette oeuvre (je n'utilise pas le mot à tord et à travers, là ça se justifie), lorsqu'on parle du plus violent manga que j'ai jamais lu...
Mais moi, j'ai été conquis. Je tiens à défendre cette lecture magnifique par la raison, en montrant qu'Hiroki Endo utilise cette violence comme un outil pour montrer ou
plutôt assener comme une baffe sa critique de la société, et plus encore... C'est une preuve que l'on peut faire quelque chose d'unique et de remarquable à partir de la violence, et vraiment traiter de celle-ci. Je ne suis pas une personne psychotique qui vénère la violence, j'aime cette approche, comme pourrait le faire Kitano dans ses films... Elle nous fait réfléchir à notre relation avec la violence, avec notre part d'ombre.
L'oeuvre est à l'image du tombeau des lucioles de Takahata, brutale et directe... Elle parle de ce qu'elle montre, ce n'est pas ni pour se décontracter, ni pour planer dans des batailles irrationnelles et sans répercussions. Là, le sujet est grave.
Et puis en relisant pour pouvoir écrire ce texte, j'ai redécouvert certaines choses, notamment sur le rapport à la religion, sur les personnages, sur la qualité et le potentiel énorme de ce manga, sur l'intelligence de la manière de raconter, la subtilité des rapports humains....
Les personnages d'Eden évoluent dans un monde ravagé par un virus rendant les hommes durs et cassants comme de la porcelaine, ça c'est l'accroche, l'important n'est pas de savoir si c'est super innovant comme idée ou si ça ne l'est pas. L'important est de dresser un tableau d'une humanité partiellement détruite et en péril. Le but premier en ces temps troublés est de survivre à n'importe quel prix, et pour ce faire tous les moyens sont bons: trafics, assassinats, implants cybernétiques pour remplacer les membres malades... Ainsi la naissance des personnages torturés est possible. Ce n'est pas de la hard science, là, les personnages sont le tissus narratif de l'oeuvre : les hommes tentent de faire leur petit bout de chemin dans cet univers dur et violent, entre cyberpunk, SF et vie contemporaine.
Hiroki Endo a trouvé là un mélange subtil et rare, particulièrement réaliste et travaillé, fouillé jusqu'à la moelle, et s'avère aussi à l'aise pour décrire des paysages désertiques (l'île du premier tome, les grandes étendues d'Amérique du Sud pour les suivants), et leur ambiance calme, contemplative, même pendant les scènes de combat, que des villes animées (à partir du tome 4). Ce talent se vérifie lorsqu'il s'agit de mélanger les genres. Eden est en effet un melting-pot subtil et cohérent de manga guerrier ultra réaliste, (notamment le tome 3, un véritable exercice de style en ce domaine), de cyber punk et de SF, auxquels sont ajoutées une ambiance de polar sur les derniers tomes, ainsi qu'une trame sentimentale en toile de fond mais si Hiroki Endo est un créateur d'univers de premier ordre, son talent s'affirme encore davantage lorsqu'il s'agit d'intégrer et de brosser ses personnages... Chaque tome apporte du neuf, et pour dire, entre le premier et le treizième tome on se demande même si c'est la même histoire. Les rebondissements sont fréquents, cohérents et permettent une très bonne approche des émotions, des affects... des individus en général. Le tout sur le thème de la violence intrinsèque de l'homme, bien sur. Mais vu le nombre de bouquins violents qui se vendent, ne me sortez pas que c'est la violence qui vous rebute. C'est peut-être sa réalité, et là, ça pose problème.
De toute façon, la violence ne peut résumer l'oeuvre même si on tente de la résumer là dessus, on ne peut dire non plus que c'est linéaire :
On ne peut pas vraiment dégager de personnage principal dans Eden, même si l'histoire semble se dérouler autour de la famille Ballade, et plus particulièrement d'Elia Ballade. Hiroki Endo nous plonge dans un maëlstrom de caractères, de vies totalement différentes, mais avec souvent un but commun: survivre. Au premier abord cyniques, désabusés, indifférents des horreurs qui les entourent, blasés, parfois, du fait de leur corps remplacé par du métal, ce sont en réalité de véritables ecorchés vifs, qui se défendent comme ils peuvent dans un monde qui, ils le savent pour l'avoir experimenté maintes fois, ne leur fera pas de cadeau. Ils se révèlent remplis d'émotions pleins d'un désir de vivre contrastant avec leur apparence froide et indifférente, et profondément humains. Il n'y a pas un seul personnage qui soit totalement négatif, ni un seul totalement positif. On navigue dans différents niveaux de gris, et le grand talent de Hiroki Endo est de nous les rendre tous touchants, mercenaires sanguinaires, prostituées junkies, traficants de drogues, cyborgs n'ayant plus grand chose d'humain, tous nous touchent, parfois nous bouleversent, tous ont leur histoire, largement dépeinte, on s'identifie à chacun d'eux parce que ce sont des hommes, tout simplement.
De ce fait, Eden s'avère débordant de vie et de fraîcheur, de sentiments humains surtout, son auteur réussit à mélanger récit de guerre, polar, récit sentimental, SF et cyberpunk avec bonheur, et réussit le tour de force de nous immerger totalement dans son monde, entre désespoir et volonté farouche de vivre.
J'ai essayé de faire court, mais on ne peut pas toujours tout synthétiser...
P.S. : l'accroche du message fait référence à un post situé dans
"naruto... qui êtes vous?"