Pour la défense du jeu de rôle

Article de David Cheng :
Depuis son explosion comme phénomène de mode au début des années quatre-vingts, attirant ainsi
l’attention du grand public, le jeu de rôle a été critiqué par divers groupements d’intérêts. Un certain
nombre de ces critiques sont aussi lancées contre les wargames. Le phénomène de mode est maintenant
terminé, mais toutes les personnes qui considèrent cette activité comme un véritable loisir doivent souvent
affronter ces critiques. bVoici quelques réponses aux accusations que l’on porte le plus souvent contre les
jeux.

Tu passes trop de temps à jouer .
Oui, les jeux que nous pratiquons prennent beaucoup de temps. Mais les gens qui jouent trop souvent sont
en fait obsédés par leur loisir. Ce ne sont pas les jeux qui les ont rendus ainsi; s’ils ne jouaient pas, ils
pratiqueraient une autre activité de manière tout aussi obsessionnelle. Regardez donc le temps que passent
certains enfants devant la télévision ! La plupart des joueurs savent que le jeu est un loisir comme les autres,
et qu’il existe bien d’autres choses dans la vie, qu’ils savent apprécier.

Les jeux coûtent beaucoup d’argent.
Si vous regardez le prix d’un jeu, cela peut sembler en effet assez cher. Mais combien de temps dure une
séance de cinéma à quarante-cinq francs ? Généralement moins de deux heures. On peut apprécier un bon
jeu pendant des années. La plupart des jeux coûtent le même prix qu’un beau livre ou que la plupart des
logiciels informatiques.

Les jeux font perdre aux joueurs le sens de la réalité.
La plupart des joueurs savent que leur loisir n’est qu’un jeu. Est-ce que les gens qui vont au cinéma une
fois par semaine sont accusés de croire que ce qui se passe dans les films est la réalité ? Il existe quelques
cas de personnes qui poussent les choses un peu trop loin, ou qui font des choses stupides comme parcourir
les sous-sols de leur école en brandissant des armes factices. Ils sont juste un peu bizarres ; et il se trouve
que par hasard, ce sont aussi des joueurs.
Un conseil de prudence : vos parents, vos amis ou d’autres personnes peuvent craindre que vous perdiez
contact avec la réalité si vous commencez à utiliser des termes de jeu dans votre langage de tous les jours.
Soyez discrets quand vous vous vantez d’avoir massacré des orcs ou d’avoir fait sauter un cuirassé klingon,
surtout quand des non-joueurs sont présents. Nous savons que vous ne faites qu’exprimer votre
enthousiasme pour un jeu, mais les gens autour de vous risquent de penser que vous êtes un peu bizarre.

Les joueurs deviennent irrationnels quand leurs personnages meurent dans le jeu.
Oui, il existe bel et bien un sentiment de perte quand un personnage de jeu de rôle, comme celui d’un
roman ou d’un feuilleton télé, est tué. Est-ce irrationnel ? Considérez donc cet exemple :
Votre loisir est la peinture. Vous avez passé de nombreuses heures à peindre un tableau. C’est l’un de vos
préférés. Quelqu’un cambriole votre maison et vous vole votre tableau ; il a disparu. Ne ressentez-vous
pas un sentiment de perte ? Ce n’est qu’un morceau de toile, avec des taches de couleur. Vous pouvez en
peindre un autre. Mais vous avez passé énormément de temps à le peindre et lui avez consacré beaucoup
d’efforts. Vous ressentez effectivement une grande perte quand il disparaît. Est-ce irrationnel ?
Un personnage favori dans un jeu de rôle est comme ce tableau. Vous avez passé beaucoup de temps à
l’interpréter, à le développer, à l’améliorer. S’il vient à être tué au cours d’une partie, il se peut tout à fait
que vous ressentiez un sentiment de perte. Mais cela passera; ce n’est qu’un morceau de papier, et vous
pouvez facilement créer un autre personnage.

Tu joues pour fuir la réalité, et c’est mal.
Jouer est une façon d’échapper à la réalité. Mais est-ce que toute activité de loisir ne permet pas
d’échapper à la réalité ? Nous tentons tous d’échapper à la réalité, et ne considérez pas du tout que cela est
mauvais.
Quand vous allez au cinéma, vous vous asseyez dans une salle obscure où personne n’est supposé parler,
et vous regardez sur un écran brillant les histoires que l’on y projette. Que se passe-t-il ? Vous vous laissez
distraire par le film. Vous focalisez toute votre attention sur lui. C’est pourquoi la salle est obscure, pour
que vous ne soyez pas distrait par d’autres images. C’est pourquoi les gens ne sont pas supposés parler,
pour que vous ne soyez pas distrait par d’autres sons. Vous allez volontairement au cinéma pour oublier
votre travail, l’école, etc. Vous fuyez la réalité pour échapper à votre vie quotidienne pendant une heure et
demie. Est-ce mal ?
Beaucoup de gens affirment que la lecture est une meilleure distraction pour l’esprit que le cinéma ou la
télévision. Mais en termes de fuite de la réalité, n’est-ce pas la même chose ? N’êtes-vous pas ennuyé si les
gens font du bruit autour de vous pendant que vous essayez de lire ? Pourquoi ? Parce que vous tentez de
vous concentrer sur votre livre, de vous projeter dans l’histoire.
A de nombreux égards, le jeu de rôle est encore une meilleure façon de se distraire en fuyant la réalité.
Vous ne regardez pas passivement une aventure qui se déroule sous vos yeux. Quand vous jouez, vous
utilisez activement votre imagination pour déterminer l’issue de l’histoire.
Ne vaut-il pas mieux prendre une part active dans son loisir ? Résoudre des problèmes, utiliser son
imagination et avoir une activité sociale avec d’autres personnes. Ce sont de bonnes choses, qu’offrent très
peu de loisirs d’intérieur.

Le jeu pousse les jeunes au suicide.
Il existe certaines personnes qui veulent nous le faire croire. Elles déploient tous leurs efforts pour porter
le blâme sur le jeu de rôle à chaque fois qu’un jeune qui, par hasard, est un joueur, se tue.
Malheureusement, environ vingt mille Américains se suicident tous les ans (ce chiffre peut facilement être
vérifié dans n’importe quelle bibliothèque). Certaines de ces personnes sont des joueurs. D’autres sont des
golfeurs. Faut-il dire alors que le golf les a poussé au suicide ? Certaines sont des mères de famille. Faut-il
dire que donner la vie les a poussé au suicide ?
Il n’existe aucune preuve statistique qui indique que la pratique du jeu de rôle augmente les tendances
suicidaires d’une personne. Certaines personnes pensent que quelques cas de joueurs qui se suicident
constituent une preuve. Ce n’est pas une preuve; c’est une partie d’une distribution statistique qui ne prouve
rien, dans un sens ou dans l’autre.
Il est possible d’utiliser cette même méthodologie erronée pour affirmer que les joueurs de rôle ont
cinquante-sept fois moins de chances de se suicider que les autres. Mais nous ne ferons pas une telle
affirmation, car nous savons qu’elle est fausse, tout comme dire que les jeux poussent au suicide est faux.

Les jeux sont trop violents.
Le conflit est en effet un thème courant dans la plupart des jeux que nous pratiquons. Pourquoi les films
d’aventure sont-ils si populaires ? Probablement à cause de l’élément de danger. Le héros échappe aux
griffes de la mort, et nous applaudissons. Serait-ce très excitant d’aller voir Arnold Schwarzenneger jouer
au bowling ? Ce pourrait être drôle, mais pas vraiment excitant. Il n’y a pas de risque, il n’y pas de danger.
Le même principe s’applique dans les jeux. Dans nos parties, nous pouvons prendre des risques. Pas nous
même, bien sûr. Les risques que nous prenons sont vécus par procuration, pris sur le papier, sur le plateau
de jeu et dans notre imagination. Nous pouvons facilement braver le danger et en tirer des sensations fortes.
Disons que le sujet d’une aventure est d’aller secourir une princesse et de l’enlever à ses ignobles
ravisseurs. Les héros suivent les traces des misérables jusque dans leur forteresse, au coeur des montagnes.
Ils entrent dans la citadelle et demandent au chef des brigands de leur rendre la princesse. Celui-ci
obtempère sans faire de difficultés. Les héros retournent voir le roi, et sont richement récompensés.
Quel plaisir y a-t-il à jouer cette aventure ? Aurez-vous le sentiment d’avoir accompli quelque chose
après cette mission ? Probablement pas, car vous n’aurez surmonté aucun obstacle ; vous n’avez pris aucun
risque.
Voici une aventure bien meilleure : les héros s’introduisent subrepticement dans la forteresse et tentent de
s’enfuir avec la princesse. Ils manquent d’être dévorés par les alligators dans les douves. Ils tentent de ne pas être découverts par les gardes. Ils risquent leur vie dans un combat quand les gardes les surprennent et
les poursuivent, l’épée à la main.
Il est difficile d’avoir un sentiment de satisfaction s’il n’y a aucun obstacle à surmonter. Après avoir pris
des risques, la satisfaction de la victoire est bien plus douce. Et la défaite n’impose aucune pénalité, même si
vous êtes “mort” en essayant.
Il y a de nombreuses choses positives que la pratique des jeux améliore.
L’imagination et la pensée créatrice.
Si vous observez une partie en train de se dérouler, vous verrez qu’il s’agit d’un exercice de créativité.
Souvenez-vous de la réponse face à l’accusation de fuir la réalité ? Vaut-il mieux laisser passivement
l’action se dérouler devant vous, ou prendre une part active dans l’histoire ? C’est ça, le jeu de rôle : vous
écrivez le scénario d’un roman d’aventure, sauf que vous le faites au fur et à mesure, souvent depuis la
perspective de l’un des personnages principaux de l’histoire.

La faculté d’analyse et de résolution de problèmes.
Les jeux vous font souvent affronter et surmonter des obstacles. Vous avez un objectif, qu’il vous faut
accomplir. Des obstacles parsèment votre route, que vous devez vaincre.
Les wargames mettent encore plus ces qualités à contribution que les jeux de rôle. Vous entrez en
compétition avec un autre joueur ; vous gagnez ou vous perdez. Vous affinez vos facultés stratégiques et
tactiques. Comment trouver une meilleure position tactique ? Comment réagir au dernier mouvement de
l’adversaire ? Vous devez analyser la situation et concevoir un plan qui vous conduira au succès.

Un intérêt pour l’histoire, la géographie.
Beaucoup de gens se plaignent que les jeunes ne connaissent plus leur pays, leur monde. De nombreux
joueurs sont de vivantes contradictions à cette affirmation. Il y a des centaines de jeux qui recréent des
batailles et des grands événements qui ont réellement eu lieu, dans des endroits qui existent vraiment. Grâce
à ces jeux, les joueurs veulent en apprendre plus sur l’histoire, la géographie, et même sur la science et la
technologie, parce que cela leur donne un avantage dans leurs parties.

Rencontrer de nouvelles personnes.
Les joueurs ont tous un intérêt commun : le jeu. Tout le monde sait que la meilleure façon de rencontrer
de nouveaux amis est de trouver un groupe avec un intérêt commun. Quand j’ai déménagé à New York, j’ai
pu faire la connaissance d’une douzaine de personnes simplement en me rendant au club de jeu local. (Si
j’avais été un golfeur, j’aurai pu les rencontrer au club de golf local ou sur le terrain). Comme le jeu est une
activité sociale, j’ai pu rapidement me faire de nouveaux amis. Je pense que cela est un extraordinaire

bénéfice des jeux.
L’amitié.
J’ai gardé le meilleur pour la fin. Les joueurs développent de bonnes et de solides amitiés. Nous savons
tous l’importance de l’amitié. Une extension de ces amitiés est le réseau social que vous développez, en
rencontrant de plus en plus de joueurs.
Personne ne sait vraiment ce qui pousse les gens à se suicider. Cependant, certaines choses se retrouvent
dans le profil des victimes. Ce sont souvent des personnes solitaires. Elles ont l’impression de ne pas avoir
d’amis, que personne ne pense à elles. L’amitié qui vous lie à vos compagnons de jeu, ainsi qu’à vos autres
amis , vous rend plus heureux, fait de vous une personne en meilleure santé, mentalement plus stable. Cela
rend les gens beaucoup moins vulnérables au suicide.

Quand les choses iront-elles mieux ?
Le jeu a les mêmes problèmes que le rock n’roll au début de son existence. Quand la musique rock est
apparue, les parents ont dit : “C’est mauvais”, ou “Nous ne pouvons pas laissons nos enfants écouter de
telles horreurs.”
Pourquoi ont-ils dit cela ? Parce que la musique rock était nouvelle pour eux. Ils n’avaient pas grandi
avec elle, et ne la comprenaient pas. Elle les dérangeait alors ils se sentaient obligés de s’y opposer. Le jeu
souffre des mêmes circonstances. Les parents ne sont absolument pas gênés par le fait que leurs enfants jouent au football, parce qu’ils savent ce que c’est et qu’ils ont grandi avec. Mais comme ils ne comprennent
pas les jeux de rôle, ils pensent qu’ils sont mauvais.
Je ne travaille pas pour une compagnie de jeu ou dans cette industrie. Je travaille dans une grande
société de New York. Je porte tous les jours un costume et une cravate pour aller au bureau.
Cela fait plus de quatorze années que je pratique le jeu de rôle, et je n’aime pas voir mon loisir diffamé
par des gens qui n’ont aucune preuve pour soutenir leurs dires. La désinformation engendre l’irrespect,
l’intolérance et l’ignorance.


Merci de m’avoir lu. Si vous le pouvez, prenez le temps de faire comprendre le jeu de rôle à d’autres
personnes. Peut-être ne voudront-elles pas participer à une partie ; comme pour tous les loisirs, il faut en
avoir le goût. Mais elles ne seront plus effrayées par ce qu’elles ne connaissent pas.

Cet article est un extrait de la conférence de David Cheng “Que sont les jeux de rôle ?”. David tient
gratuitement cette conférence dans de nombreuses conventions, pour les parents, les époux, les amis des
joueurs qui ne pratiquent pas ce loisir. Vous avez le droit de réimprimer cet article, en entier ou sous forme
d’extraits, tant que vous mentionnez l’auteur et la source. L’auteur vous prie de ne pas le citer hors de son
contexte.



Quelques conseils de Mike Stackpole, membre du IWC (Comité de Surveillance de l’Industrie) de l’association
professionnelle des éditeurs de jeux américains. Il intervient régulièrement pour la défense du jeu quand
celui-ci est mis en cause par des autorités locales ou dans des procès… Voici quelques conseils qu’il donne
aux propriétaires de magasins de jeux qui ont ce genre de problèmes, conseils qui peuvent très bien servir
aux associations et clubs de jeux…

1) Obtenez l’aide et le soutien de toutes les personnes importantes de votre agglomération qui
fréquentent votre magasin [votre association], y compris les prêtres, les policiers, les juristes et tous les
“notables”. Avoir de telles personnes qui vous soutiennent vous donnera une grande force de persuasion.
2) Ayez toujours un magnétophone à côté de vous quand vous parlez à la presse et/ou la personne qui
vous crée des ennuis. Prévenez-les que la conversation est enregistrée. (Il est surprenant de constater
combien de gens s’abstiennent de proférer des menaces quand ils savent qu’ils sont enregistrés).
3) Organisez une “Nuit des Parents”, où les parents pourront venir et observer quelques parties. Avec le
propriétaire de la boutique [le président de l’association] jouant le rôle du guide, ce type de rencontre
pourra empêcher ou calmer l’anxiété des parents qui se demandent ce que font leurs enfants quand ils
partent jouer.
4) Assurez les parent que s’ils ne veulent pas que leur enfant mineur achète des produits “pour public
averti” [ou pratiquent de tels jeux], vous ne leur en vendrez pas [vous ne les ferez pas y jouer].
5) Soyez patient. Ce genre de problème s’estompe généralement au bout de quelques mois.

“ S’en prendre aux gens qui critiquent la pratique des jeux peut certainement faire envie à tous ceux qui
ont été calomniés parce qu’ils pratiquent ce loisir inoffensif. Un grand nombre de personnes, des joueurs
comme des professionnels, ont exprimé le désir de se lancer dans la bataille, mais je fais de mon mieux pour
les décourager. Il y a de bonnes raisons pour cela… et ce n’est pas parce que je veux m’amuser tout seul.
Car ce n’est pas amusant.
Faire face aux critiques contre les jeux n’est pas une tâche facile. La personne contre laquelle vous allez
débattre peut être la mère d’un enfant qui s’est suicidé, un prêtre ou un psychiatre avec une armoire pleine
de diplômes. Ils ont généralement l’expérience des débats publics. Apprendre comment ne pas tomber dans
les pièges de ce genre de débats est difficile. Il est très facile d’être attiré dans une discussion théologique
par un prêtre qui proclame que les jeux sont sataniques, mais cela vous entraîne dans son domaine
d’expertise, ce qui lui donne un énorme avantage.
Voici ce que je préfère dire à la plupart de mes interlocuteurs : une confrontation directe avec les gens
qui critiquent les jeux revient à lutter dans une mare de boue avec un cochon. Vous pouvez gagner, mais il
est certain que vous vous salirez et… les cochons adorent se salir. De plus, lors d’un débat public, d’un
témoignage dans un procès ou devant le conseil d’une école, vous représentez toute une industrie. Si vous
perdez face au cochon, les conséquences risquent d’être graves. Des gens peuvent perdre leur emploi et des
joueurs se voire interdire la pratique de leur loisir.



Un petit gag pour terminer. Donjons & Dragons a longtemps été accusé d’inciter les jeunes à la pratique
du satanisme et autres cultes bizarres et “maléfiques”. Et bien en Israël, les élèves d’une école religieuse se
sont vus interdire la pratique des jeux de rôle, car AD&D promouvait trop le christianisme aux yeux de la
direction ! Comme quoi…